VOLET 3, "le ratage"Naissance du Twin BeeLe projet est porté en 1937 par
Zantford "Granny" Grandville, "chef de file" de la Granville Brothers Aircraft Springfield Inc. afin de créer "l'avion imbattable en course" qui assurera la pérennité de l'entreprise.
"Granny"
L'ingénieur et pilote en chef
Bob Hall accepte de participer à ce challenge en vendant ses parts dans l’entreprise.
Bob Hall
Hook Fisherman, célèbre ingénieur en aéronautique marine, pilote de talent, grand spécialiste de la pêche au sea snakefish, rejoint l'équipe du bureau d'études.
Fisherman
Y a-t-il un pilote pour l’avion ?Compte tenu des accidents à répétition qui jalonnent le développement de la série Gee Bee (Z, R1, R2 et R1/R2) et la faible rémunération proposée, les pilotes d'essai ne se bousculent pas à la porte de l'entreprise!
Lee Gelbach, qui a piloté le R2 lors de différentes "Air Races Trophy" fait défection; il aurait déclaré « vouloir vivre encore un peu ! »,
Lee Gelbach
Gelbach devant le R2
Zantford demande alors à
Jimmy Doolitle de prendre en compte les essais de mise au point de l’avion.
J. Doolitle a déjà acquis une bonne expérience sur les modèles R1 et R2 (dont il se méfie à juste titre), bien qu’il ait remporté plusieurs courses prestigieuses dont la Thompson Trophy aux commandes du R1.
Doolitle et le R1
Les conditions financières ne sont pas alléchantes, mais Doolittle finit par accepter de participer à la mise en situation de ce drôle de poisson.
Plus tard, il mettra au point les bases du vol sans visibilité et se rendra célèbre par la préparation du Raid sur Tokyo en 1942, effectué avec des B-25 décollant d’un porte-avions, en représailles à l’attaque japonaise de Pearl Harbor, sans déclaration de guerre, le 7 décembre 1941.
Jimmy, "un gars qui en a" (sic)
Jimmy déclare forfait !Le premier avril 1938, six mois à peine après le début de sa construction, il est 6h15 quand les portes du hangar s’ouvrent et laissent apparaître la forme massive et agressive du bimoteur dans la pénombre matinale.
Accroché à un tracteur il est amené au bout du tarmac, à proximité immédiate de la piste d’envol.
Les 5 frères Grandville sont là ainsi que les ingénieurs qui ont participé à sa construction et les deux mécaniciens de la firme qui ont dû jurer de garder le secret de confidentialité.
Il ne s’agit pas déjà de voler mais uniquement de respecter un cahier des charges précis lors de plusieurs étapes en tests de roulage.
Jimmy Doolitle est aux commandes ; dès la mise en route des moteurs, des vibrations importantes secouent l’avion comme une essoreuse. Lorsqu’il accélère à la pression d’admission recommandée, l’appareil pivote sur la droite et il est très difficile de maintenir un roulage rectiligne avec les roues arrière au sol.
Il y parvient en levant la queue de l’avion et en évoluant sur le train principal.
Il effectue plusieurs aller-retour sur ma piste, mais les vibrations s’amplifient et plusieurs instruments du tableau de bord sont endommagés ; pour finir, le volumineux capot gauche se désolidarise et s’arrache heureusement en évitant le plan fixe vertical.
C’est plutôt inattendu et très décevant !
L’avion est hâtivement rentré dans le hangar.
On va s’attacher à rechercher les causes de ces vibrations et les travaux vont occuper tout le staff sans répit pendant les trois semaines à venir.
L’équilibrage des GMP est recalculé, la fiche de pesée est modifiée et le centrage aussi avec l’ajout de 50 kg de masse coincés derrière le siège du pilote et dans le fuselage de gauche.
La forme et l’arrimage des éléments du bâti moteur sont revues totalement.
Les fixations des panneaux et trappes de visite sont renforcées, les principaux instruments remplacés et fixés sur cylindbloc (comme plus tard dans les voilures tournantes).
Les essais de roulage reprennent
fin avril, mais le problème des vibrations n’est toujours pas résolu et le pilote pense que le centrage est à revoir complètement.
A l’issue de plusieurs essais de roulage complémentaires et angoissants, pressentant le pire, Jimmy Doolitle refuse d’aller plus loin.
En l’état actuel de la mise au point, il juge prématurés tous nouveaux essais statiques.
Selon lui, en l’état, le Twin Bee est inadapté au vol et malgré l’insistance de Zantford, Jimmy Doolitle refuse de « remettre ses fesses dans cette promesse de cercueil volant » (sic) tant que tous les travaux indispensables à la sécurité n’auront pas été menés à bien.
Jimmy Doolitle, contrarié mais ferme dans sa décision
Zantford Grandville s’entête à poursuivre, mais il va devoir trouver un autre pilote d'essai.
Dans les annonces pour ce faire,
bien qu’il ne soit jamais fait état du bimoteur (dont l’existence est toujours gardée confidentielle), mais uniquement du Gee Bee, les candidats ne se bousculent pas au portillon du hangar !
Au final, c’est un jeune et dynamique sportif, ami de Lee Gelbach, avec lequel il a déjà piloté le R2, qui accepte de gérer les tests aux conditions des frères Grandville.
Il se nomme
Trout Mackerel.C’est un ancien pêcheur professionnel « d’April Exocet », une variété de poisson rare très recherchée et prisée pour sa qualité gustative, mais dont la capture est limitée annuellement
au seul premier jour du mois d’avril.Il s’est fait aussi remarquer dans des expéditions de chasse "au requin à épingle".
Pilote d’amphibie lorsqu'il tentait d'utiliser les hydravions pour la pêche à la traîne, un peu cascadeur, il s’est reconverti dans le travail aérien.
Il se produit dans les show et meeting aériens et recherche une écurie qui lui permettrait d’assouvir son besoin de sensations fortes que procurent les courses au pylône.
Vous avez dit sensations fortes ? 30 avril, 6h22 GMT
Tout le monde est là, excepté Doolitle.
La visite pré-vol commencée dans le hangar s’achève sur le tarmac, à la lumière des lampes.
RAS, tout semble OK, mais ……l’avion est-il vraiment au point ?
Mackerel grimpe à bord et s’installe dans le cockpit. Il a endossé une ample et chaude combinaison de vol et s’est muni d’un parachute siège, casque en cuir serti par des lunettes de vol, gants, chaussures montantes.
Le mécanicien l’aide à boucler ses ceintures puis descend et retire l’échelle d’accès.
La verrière basculante est fermée et verrouillée. Il est prêt.
Photo rarissime du bi moteur Twin Bee dans sa version de base, avec hélices en bois, lors d'essais des moteurs.
Le train d'atterrissage est identique à celui du R1/R2 et les jambes n’ont pas encore été allongées.
Le mécano brasse les pales afin de répandre l’huile dans les cylindres.
Contact, « un poil de gaz » et ils lancent les hélices à la main dans l’ordre indiqué : la gauche d’abord, puis la droite.
La compression est étonnante mais les moteurs toussent et démarrent.
Dès que les températures sont OK, hélices plein petit pas, cales ôtées, il roule et s’aligne pour son premier vol.
Mise des gaz, le couple est effarant et malgré les palonniers en contre total, Mackerel éprouve un mal fou à maintenir sa trajectoire sur la piste, il accélère et l’avion se déporte dangereusement sur le côté, quitte la piste, pénètre dans l’herbe et après quelques embardées inquiétantes, finit par quitter le sol.
Ouf !
Les vibrations ne tardent pas à apparaître et le pilote ne parvient pas à synchroniser les moteurs ce qui n’arrange rien, au contraire elles augmentent dangereusement et soudain, la verrière s’arrache et disparait avec son casque en cuir qu’il n’avait pas attaché et ses lunettes de protection.
En passant « au grand pas », il constate que les vibrations diminuent un peu.
Mais l’avion est piqueur et il doit maintenir le manche à cabrer tout en essayant de régler le grand compensateur horizontal qui sert aussi de volet sur l’axe de tangage.
Il y parvient au prix de grands efforts.
Fort de sa récente expérience de prise en main du Gee Bee R2, où il a subi deux tonneaux involontaires alors qu’il évoluait par bonheur à 1800 pieds, il monte à 2400 pieds.
Mackerel, devant le Gee Bee R2
Bien lui en prend car en engageant un virage, le Twin Bee se met soudainement à « bouchonner » sur l’axe de roulis et il doit sur compenser au manche pour tenter de contrer la velléité de l’avion à partir en tonneau.
Soudain une crampe le saisit au bras et relâchant sa pression, l’avion enclenche trois tonneaux consécutifs et perd 1500 pieds !
Cramponné au manche, tendant vainement d’équilibrer la puissance des moteurs et le pas des hélices tout en « jouant » du compensateur de profondeur, Trout rétablit l'assiette et le Twin Bee vole encore tant bien que mal.
Dans ces conditions, il est impossible de respecter le cahier des charges prévu pour la mise au point ; il n’a qu’une seule idée, ramener ce tas de ferraille et en sortir entier et vivant.
Il transpire et continue à se battre pour tenter de maintenir l'avion en ligne de vol.
Durant un bref instant il cède à la panique et décide de sauter en parachute….. mais il se ravise car dès qu’il relâche la pression sur la manche et les palonniers, l’avion devient incontrôlable, ce qui ne lui permettrait pas une évacuation en sécurité.
En bas, « les yeux sertis dans les jumelles », on ne perd rien de ce qui se passe là-haut.
C’est le sentiment de l’échec et la peur de la catastrophe qui prévaut ; tous croisent les doigts mais ne peuvent détacher leur esprit d’une issue potentiellement tragique.
Mackerel voulait des sensations ? il est servi !
Péniblement, il entame le second virage à faible inclinaison, en glissade au palonnier en faisant très attention de ne pas engager une vrille mortelle, plutôt que de trop solliciter les ailerons au risque de réenclencher des tonneaux et revient vers le terrain.
Il cherche à s’aligner sur la piste en dur pour tenter un atterrissage dans les meilleures conditions. A cette heure, le vent est faible et quasiment dans l’axe.
Il reste encore pas mal d’essence dans les réservoirs car un vide vite d’urgence n’a pas été prévu et le pilote ne pourra pas lutter encore bien longtemps pour maintenir ce « cercueil » en l’air. Il essaie de chasser la vision de l’incendie auquel il a assisté lors du crash d’infortunés pilotes et dans lequel il périrait brûlé vif.
Il veut rester concentré car il n’a pas beaucoup d’option et il ne lâche rien.
Il réduit les gaz, la vitesse tombe à 180 km/h et soudain, l’avion s’incline fortement à droite et se comporte comme un fer à repasser : la résultante aérodynamique engendre immédiatement une traînée parasite fabuleuse et la portance se casse la g…..
Le sol arrive vite, il réagit immédiatement avec le manche en avant et l’accélération est fulgurante. Il évite ainsi le décrochage mais augmente aussi la vitesse d’atterrissage dans des proportions inquiétantes. Le train d’atterrissage pourra - t-il absorber le choc ?
Le « vario descend à la cave », il ramène le manche au neutre et remet un peu de gaz, ce qui augmente ces damnées vibrations, ramène l’aéronef à un équilibre précaire, mais à un équilibre quand même!
Il n’est toujours pas dans l’axe de la piste, mais comprend qu’il n’y parviendra pas.
Hors de question de refaire un tour. La PTS (prise de terrain en S) qu’il devrait entreprendre pour l’y amener augmenterait trop le facteur de charge risquant un décrochage aux conséquences dramatiques.
Il arrive à près de 200 km/h parallèlement à la piste sur le champ en herbe. L’assiette est trop inclinée à droite et l’aile « frôle les pâquerettes ». A 180 km/h, il rétablit l’horizontale de justesse, touche durement le sol, rebondit plusieurs fois et dans un dernier effort, il réussit à plaquer l’avion qui titube sur le sol inégal mais se maintient sur ses roues grâce à son importante voie de train.
Manche au ventre, il freine progressivement pour éviter un « cheval de bois » et finit par s’arrêter sain et sauf.
Il coupe les contacts et la magnéto auxiliaire autonome.
Ses articulations sont en feu, il est secoué de tremblements nerveux le siège est mouillé et il a certainement perdu quelques kilos.
Il ne parvient même pas à déboucler sa ceinture, mais il est vivant et entier !
Le tracteur ramène illico l’avion à l’abri des regards dans le hangar.
Le constat fait état de cellule déformée à plusieurs endroits, d’une aile vrillée, de panneaux tordus, de nombreux rivets absents…
Heureusement les plans fixes et gouvernes ont tenu mais le compensateur de queue ne tient plus que par une seule charnière et y a une importante fuite d’huile sur le capot gauche.
Malgré l'obstination de maintenir ce vol d'essai, cette tentative prématurée et hasardeuse se termine bien.
La mise au point du Twin Bee ne peut se concevoir dans la précipitation et nécessite un programme drastique incluant de nombreuses heures de travail acharné et une main d’œuvre adaptée, que des ressources financières de l'entreprise ne permettent plus.
La trésorerie s’est effondrée et les grandes courses nationales qui, dix années auparavant, attiraient un public nombreux et enthousiaste, sont passées de mode.
Les rumeurs de guerre en Europe et au Japon laissent entrevoir un développement aéronautique bien différent que celui du sport et des records et les racers n’ont plus la cote.
La passion dévorante et exclusive pour la vitesse et l’appât du gain des prix qu’offrent les « National Air Races » ont produit des engins aux tendances suicidaires qui n’ont plus aucun avenir. Le Twin Bee en est un exemple frappant.
En ce qui concerne Trout Meckerel, inutile de lui reparler ni du Twin Bee ni des frères Grandville ! Ce premier vol sera aussi le dernier.
Ici s’arrête la "courtissime carrière de ce bimoteur de légende qui devait rafler tous les trophées", mais n’a jamais été présenté, n’a participé à aucune course et dont l’existence est restée dans l’ombre du fabuleux ratage qui a fini par liquider les finances de la boîte en 1938.
L’avion a disparu avec l’entreprise qui dépose son bilan en 1939, dans la tourmente des problèmes techniques et financiers et ses créateurs sont fort bien parvenus à cacher sa courte existence, longtemps demeurée inconnue.
Pas de photos !Contrairement aux différents modèles de Gee Bee qui ont été largement photographiés, mise à part la seule connue (ci-dessus), les rares prises de vue de cet avion sont toujours introuvables.
Ceci s’explique peut-être pour plusieurs raisons :- le secret bien gardé, qui a entouré sa construction et la non divulgation des documents du bureau d'étude
- la rapidité avec laquelle elle a été menée (moins de 6 mois bloc/bloc !).
- la perte d’une partie des archives de sa construction, notamment les quelques rares photos confidentielles détruites dans l’incendie du bureau d’étude où elles étaient gardées.
Serge