Polikarpov I-16 "Ishak" (Ишак)

Lorsqu'il fait son apparition en public le 1er mai 1935, en survolant la Place Rouge pour la "Fête du Travail", le nouveau petit chasseur est évidemment remarqué.  On imagine aisément la réaction des quelques observateurs étrangers présents en URSS à l'époque.  Et pour cause ! En France, on met à peine au point le Dewoitine 500, mais ce sont encore de vénérables Nieuport NiD 62 qui sont en première ligne.  En Grande-Bretagne, le Bristol Bulldog fait les beaux jours de la RAF tandis qu'aux États-Unis on va mettre en service le Boeing P-26 ! Le Polikarpov I-16 n'est rien de tout cela.  C'est un chasseur entièrement nouveau dont la conception est d'une modernité sans égale dans le monde...

Le Polikarpov (du nom de son concepteur) I-16 (истребитель – Istrebitel 16 = "chasseur n°16") fut effectivement un chasseur révolutionnaire des années 1930 (premier chasseur avec des longues ailes en monoplan en porte-à-faux), probablement le meilleur dans ces années-là. Surnommé "Ишак - Ishak" ("petit âne") par les pilotes soviétiques, il fut la "Mosca"  ("mouche") des Républicains espagnols et le "Rata" ("rat") de leurs ennemis nationalistes.

- Pour les Soviétiques, le surnom d'Ischak (Ишак) vient sans doute de la petite taille et de la robustesse de l'avion mais peut-être aussi par proximité phonétique avec l'appellation "I-16" (и-шестнадцать / i-shestnadtsat). Ils l'ont également surnommé le "brochet" (щука - shchuka).
- Pour les Républicains espagnols, le surnom de Mosca (Mouche) vient là encore de sa petite taille mais c'était aussi un clin d'oeil à son origine : Moscú (Moscou).
- Pour les nationalistes, il semblerait que le surnom de Rata (Rat) soit une allusion au bruit de son moteur dans les airs mais aussi clairement une marque de dédain !

Présentant quelques ressemblances avec le racer américain Gee Bee (1932), il fit son tout premier vol en décembre 1933, entra en service dès 1935 et fut engagé en situation de guerre dès 1936 dans la guerre civile espagnole. Il s’avéra très efficace et particulièrement robuste dans ce conflit, immédiatement détesté par ses adversaires nationalistes pour ses performances et sa puissance de feu. De la même façon, d’autres I-16 livrés à la Chine peu après seront tout aussi craints par les Japonais.

D'une structure de base plutôt traditionnelle avec un fuselage semi-monocoque en bois et une voilure métallique recouverte d’entoilage en avant du longeron avant, l'I-16 était un monoplan à ailes en cantilever d’une grande pureté aérodynamique et il fut également le premier avion militaire à être pourvu d’un train d’atterrissage complètement escamotable et à disposer d'un cockpit entièrement fermé. Il fut en outre très économique à construire et extrêmement solide. Ce n'est véritablement qu'avec l'arrivée des Bf-109 allemands, autre chasseur monoplan à train rétractable et au cockpit fermé, dans les forces aériennes nationalistes qu'il perdit progressivement sa suprématie dans le ciel espagnol à partir de 1938.

Produits à grande échelle, 278 exemplaires de l'I-16 servirent dans les rangs républicains à partir de novembre 1936 (les modèles livrés à partir de 1938, à moteur plus puissant et équipés de 4 mitrailleuses, furent appelés «Super Mosca ») aux côtés de son grand frère, le biplan « Chato » (Polikarpov I-15) livré à 130 exemplaires (et 237 construits en Espagne sous licence).

Face à la menace d'agression allemande à partir de 1940, les intercepteurs Polikarpov I-16 firent l’objet d’un programme de construction à grande échelle en URSS et formaient les deux tiers des effectifs de la chasse soviétique en 1941... En tout 7005 I-16 monoplaces et 1639 biplaces furent construits de 1934 à 1942.

Bien que techniquement totalement dépassés à cette date, les I-16 demeurèrent en production jusqu’au début de l’année 1942 et bon nombre des appareils produits étaient toujours en service lors de l’invasion de l’URSS par les armées du Reich le 22 juin 1941. Environ 4000 appareils prirent part aux combats contre les Allemands en 1941 mais ils seront écrasés par des appareils beaucoup plus modernes et puissants. Certains seront tout de même maintenus en première ligne jusqu’en 1943.

L'ingénieur Nikolaï Polikarpov, tout juste libéré de prison en janvier 1933 (voir sa biographie ci-dessous) grâce aux bons résultats de son chasseur biplan Polikarpov I-5, voyait d'un très mauvais œil l'arrivée du bureau d'études Tupolev dans son domaine réservé des avions légers. En effet, l'ingénieur Pavel Soukhoï venait de concevoir un prototype de chasseur monoplan ANT-31 qui risquait fort d'être adopté par la VVS (la force aérienne  - Военно-воздушные cилы - Voïenno-vozdouchnye sily) sous la désignation de I-14. C'est pourquoi dès avant le premier vol de celui qui eut lieu le 7 mai 1933 et parallèlement à son biplan amélioré I-15, il commença à travailler d'arrache-pied sur un monoplan le TsKB-12, le bureau d'études effectuant des journées de 18 heures.

Le fuselage de l'avion était une structure semi-monocoque en bois, revêtu de sphon, un contreplaqué de bouleau. La voilure avait une structure métallique, avec des longerons en acier au chrome et des nervures en duralium, le tout étant recouvert de toile, sauf le bord d'attaque qui était lui aussi en duralium. Les gouvernes avaient elles aussi une structure en duralium recouverte de toile. Les ailes était dotées de flaperons combinant aileron et volet hypersustentateur qui se braquaient automatiquement à 15° à la sortie du train d'atterrissage. Celui-ci, doté d'amortisseurs oléopneumatiques, s'escamotait grâce à un volant placé dans le poste de pilotage.

Polikarpov semble avoir essayé de minimiser la longueur de l'appareil en plaçant directement le moteur sur la cloison pare-feu. L'avion était donc extrêmement "pointu" au pilotage, il réagissait très vite aux commandes et était très véloce dans toutes les acrobaties. Mais en contrepartie, il se révélait difficile à contrôler et avait tendance à décrocher en vrille dans les virages. La vitesse d'atterrissage de 100 km/h était élevée pour l'époque. Le moteur prévu, le Wright Cyclone de 700 ch, ne fut disponible que pour le deuxième prototype TsKb-12bis qui vola le 18 février 1934. Le premier reçut un simple M-22 (copie du Bristol Jupiter) développant seulement 480 ch. Malgré tout, les autorités décidèrent que le TsKB-12 était plus prometteur que l'ANT-31 et l'avion fut commandé sous le nom de I-16, la production débutant en mai 1934 aux usines GAZ-1 de Moscou-Khodinka et GAZ-21 de Gorki.

Les premiers exemplaires furent dotés de M-22, le Wright faisant toujours défaut. Ils étaient armés de deux mitrailleuses ChKAS de 7,62 mm approvisionnées à 900 coups et dotés d'une verrière coulissante peu pratique. Du fait de la difficulté de pilotage, on produisit rapidement un biplace pour l'entraînement. L'arrivée de moteurs et d'hélices importés permit de sortir une série de I-16-4 qui possédaient de plus des flasques recouvrant le train d'atterrissage. La mise en production du Cyclone sous licence sous le nom de M-25, associé à l'hélice AV-1 et l'apparition d'un siège blindé et de lance-bombes de 100 kg donna naissance au I-16-5, puis sa version plus puissante M25A de 730 ch au I-16-6 dont la structure fut renforcée et enfin le M25V de 750 ch motorisa lui le type 10, armé de deux mitrailleuses supplémentaires dans les ailes et d'un habitacle à l'air libre.

Après ses études au lycée de Orel, Nikolaï Polikarpov fit des études de mécanique, construction aéronautique et navale à l’Institut polytechnique de Saint-Pétersbourg. Après l’obtention de son diplôme en 1916, il rejoignit les chantiers navals et aéronautiques russo-baltes de Saint-Pétersbourg. En mars 1918 il partit à Moscou sur proposition de l'administration centrale de la flotte aérienne militaire. Il était responsable de la sérialisation de la production des avions et des ateliers de fabrication.

Dès le mois d'août de la même année, Polikarpov intégrait les ateliers Dux qui étaient à cette époque les plus grands ateliers de construction aéronautique soviétiques. Il y était responsable des études, des plans et des essais des matériaux. À la fin de l'année, le prototype Dux R-1, une copie du De Havilland DH-4, était prêt à voler, malheureusement les moteurs n'étaient pas au rendez-vous.

Polikarpov passa en 1919 au Comité Technique des forces armées et y travailla dans plusieurs commissions. En janvier, Polikarpov prit la tête d'un bureau d'études (OKB) composé du personnel des anciennes usines Dux. Ils y développèrent une version de plus petite taille du Dux R-1 et l'équipèrent d'un moteur plus puissant Liberty L-12. Leur premier développement propre fut le chasseur Polikarpov I-1, un monoplan à ailes cantilever.

Polikarpov n'étant cependant pas membre du parti communiste et il fut relevé de ses fonctions peu de temps après. Il fut même incarcéré en 1929 mais relâché en 1933. Pendant son incarcération, il avait développé avec Dimitri Grigorovitch le Polikarpov I-5. Dans les années qui suivirent, il dut coopérer avec l'OKB d'Andreï Tupolev avec lequel il se consacra aussi à l'étude d'avions à grande vitesse à réaction.

Ses appareils les plus célèbres sont aujourd'hui le Polikarpov Po-2 (1927) ...

... et donc le Polikarpov I-16 (1933), le premier chasseur moderne à ailes basses et train rentrant.

En 1940, il fut décoré de l'ordre de "Héros du travail socialiste" et fut lauréat du "Prix Staline" en 1941 et en 1943. Il reçut aussi par deux fois la "Médaille l'Ordre de Lénine". Il est enterré au cimetière de Novodiévitchi à Moscou.